Interpellation urgente — Accord sur l’électricité: libéralisation par la petite porte et ruine des Services industriels?

Déposée par Benoît Gaillard, conseiller communal – Interpellation du 16 janvier 2024

En 2016, le Conseil fédéral avait renoncé à proposer la libéralisation complète du marché suite aux résultat très négatifs de la consultation ouverte en 2014. En 2021, il l’a proposée à nouveau dans sa « Loi relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables » (connue aujourd’hui sous son surnom allemand de Mantelerlass et faisant l’objet d’une demande de référendum au stade de la récolte de signatures), mais le Parlement a supprimé la disposition y relative de la version adoptée en automne 2023. Toutefois, la libéralisation complète du marché menace de revenir encore une fois par la petite porte, dans le cadre d’une nouvelle série d’accords avec l’Union européenne, à propos desquels le Conseil fédéral a fixé sa feuille de route le 15 décembre 2023. Dans la fiche sur l’électricité publiée le même jour, il indique que les négociations reprendront sur la base de l’accord issu des négociations en 2018, qui prévoyait une libéralisation complète sur le modèle européen. Dans sa communication, le Conseil fédéral camoufle la libéralisation en affirmant que « les ménages et petites entreprises ne sont pas obligés d’acheter leur électricité sur le marché libre » – ce qui est un truisme, car en effet nulle part une libéralisation n’a signifié une obligation de quitter immédiatement le fournisseur historique.

La nécessité d’un accord avec l’Union européenne fait l’objet de différentes interprétations. Le Conseiller fédéral Albert Rösti avait lui-même indiqué en septembre 2023 qu’un accord sur l’électricité avec l’UE n’était pas « absolument nécessaire », alors que d’autres acteurs comme swissgrid le jugent absolument indispensable.

Quant aux conséquences possibles d’un tel accord, elles ont de quoi inquiéter. Concrètement, il signifierait d’exposer une part croissante des consommateurs à des variations fortes des prix, comme les ont connues les citoyens des pays voisins en 2022. Mais il compliquerait aussi la transition énergétique, en cassant le modèle à succès qui veut que des investissements de long terme dans des installations coûteuses de production décarbonées bénéficient d’une grande sécurité grâce à la répercussion de leurs coûts réels – sous étroite surveillance de la commission fédérale compétence – sur les consommateurs.

Mais il pourrait également avoir des conséquences massives pour les services publics dans le secteur électrique, et donc pour les SIL. Il est particulièrement intéressant de constater que le « Projet de lignes directrices de négociation » adopté par le Conseil fédéral le 15 décembre 2023 contient et uniquement pour le dossier de l’électricité un « Projet de lignes directrices de négociation complémentaires », ce qui souligne la sensibilité du dossier. On y lit au point f) qu’il faudra viser « une séparation des activités conforme au principe de la proportionnalité pour les gestionnaires d’un réseau de distribution ». Les SIL étant un tel gestionnaire, ils sont directement concernés.

Plus largement, on peut craindre à terme une obligation pour certains détenteurs de capacités de production totalement amorties en Suisse de vendre leur électricité à prix coûtant à des distributeurs concurrents, au lieu de pouvoir simplement la fournir à leurs abonnés. C’est ce qui s’est passé en France avec les centrales nucléaires d’EDF : comme elles produisaient du courant bon marché et fiable, et menaçaient donc de donner à EDF un avantage compétitif de très longue durée, le mécanisme d’ « accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (ARENH) a été introduit sur pression de la Commission européenne. Il prévoit qu’EDF est obligé de vendre à un prix fixe une partie de son électricité à ses concurrents qui ensuite peuvent le vendre aux consommateurs (avec une marge au passage), au lieu de laisser EDF distribuer simplement cette énergie bon marché directement. Un tel régime pourrait se voir appliquer, en suivant la même logique, au nucléaire et à l’hydroélectrique suisses, en raison de l’importante concentration des capacités de production dans les mains de quatre grands acteurs, parmi lesquels Alpiq, dont la Ville est indirectement actionnaire.

Nous souhaitons interroger la Municipalité sur les conséquences possibles d’une libéralisation du marché électrique dans le cadre d’un accord avec l’Union européenne et posons les questions suivantes :

  • Quels risques présente une libéralisation complète du marché électrique
    • Pour le développelement des renouvelables ?
    • Pour les SI en termes d’emploi, de capacité d’investissement, de marge ?
  • Comment la Municipalité apprécie-t-elle le modèle présenté par le Conseil fédéral ?
  • Comment la Municipalité comprend-elle la « séparation des activités » pour les gestionnaires de réseau inscrite dans les lignes directrices ? Quels effets une telle séparation pourrait-elle avoir sur les SIL ?
  • Quelle serait selon la Municipalité l’évolution du marché en cas de libéralisation ? A qui reviendrait la marge actuelle que sont autorisés à dégager les Services industriels ?
  • Comment la Ville est-elle intégrée aux discussions sur le projet d’accord avec l’UE
    • En tant que Ville via l’Union de villes suisses ?
    • En tant que producteur d’énergie, gestionnaire de réseau et distributeur d’électricité ?
  • Quelle est l’appréciation de la Municipalité sur le risque de vente forcée d’électricité à prix coûtant sur le modèle de l’ARENH ?

Nous remercions par avance la Municipalité pour ses réponses.

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