Postulat – Pour une remise systématique de récépissé de la PML aux personnes contrôlées.

Mountazar Jaffar, conseil communal de Lausanne – Postulat déposé le 8 novembre 2022

‘’Nous sommes profondément préoccupés par le traitement des personnes d’ascendance africaine par les forces de l’ordre et le système judiciaire en Suisse. (…) Le profilage racial généralisé, les contrôles de police, les fouilles invasives dans la rue, les fouilles à nu publiques, les fouilles anales, les insultes, l’humour raciste, la violence et l’impunité ont été décrits comme une routine pour beaucoup d’afro-descendant-e-s.’’

C’est par ces propos que Catherine Namakula, présidente du Groupe de travail de l’ONU, présentait devant le Conseil des droits de l’homme le 3 octobre 2022 les résultats du rapport sur le racisme systémique en Suisse. En effet, sur invitation du gouvernement helvétique, le groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine a effectué une visite en Suisse du 17 au 26 janvier 2022. Celui-ci s’est rendu à Berne, Zurich, Lausanne et Genève, et a rencontré des hauts fonctionnaires des gouvernements fédéral et cantonaux, des parlementaires, des autorités locales, des procureurs, des responsables d’intégration et bien évidemment des responsables de police. De nombreux éléments particulièrement inquiétants, alarmants et révoltants ont été identifiés par les experts. Sans en faire une présentation exhaustive, voici quelques-unes des conclusions émises dans le rapport et qui motivent la proposition de ce postulat.

 

Tout d’abord, de manière générale, le groupe défend que les personnes d’ascendance africaine sont victimes d’une importante discrimination raciale structurelle et d’un racisme anti-noirs, qui ont de graves répercussions sur leurs droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques. Les auteurs avancent en effet qu’en Suisse, le racisme anti-noirs est encore minimisé ou attribué à la susceptibilité de ses victimes. De très nombreux stéréotypes négatifs persistent, dépeignant les personnes d’ascendance africaine comme des trafiquants de drogue, des parasites sociaux ou des demandeurs d’asile indésirables. De plus, les auteurs indiquent que l’utilisation de ‘’l’humour’’, pour masquer des conduites racistes et perçues comme violentes, est systémique. Des personnes d’ascendance africaine ont fait état de pratiques courantes de blackface au sein de certaines institutions, ou encore de fouilles à nu en public par des policiers invoquant des clichés racistes pour ridiculiser les organes génitaux des personnes d’ascendance africaine. L’humour raciste ne fait pas que perpétuer les stéréotypes raciaux négatifs, il alimente une culture du déni dans laquelle le racisme est tacitement autorisé.

 

C’est cependant au sein du système judiciaire et du maintien de l’ordre que se répercutent le plus violemment les conséquences du racisme systémique. En effet, le groupe de travail se dit gravement préoccupé par le recours excessif à la force et l’impunité dont jouit la police. Selon les experts, les opérations policières incluent des arrestations brutales, le profilage racial, des traitements dégradants et le renforcement des stéréotypes raciaux négatifs dans les espaces publics.

Dans le canton de Vaud, plusieurs hommes d’origine africaine ont été tués par la police au cours des cinq dernières années. Le groupe a en effet suivi de près les cas de Mike Ben Peter, asphyxié par la police à Lausanne ; Lamin Fatty, retrouvé mort dans une cellule de police à Lausanne ; Hervé Mandundu, tué par la police à Bex ; Mohammed Wa Baile, qui demande justice pour profilage racial illégal à Zurich ; Omar Mussa Ali, abattu de plusieurs balles par la police à Zurich ou encore Roger Nzoy Wilhelm, abattu par la police à Morges en 2021. Après avoir enquêté auprès de la famille de ce dernier, le groupe avance que pour lui, mais également pour d’autres, établir des stratégies visant à minimiser les chances de se faire arrêter faisait partie de leur quotidien. Par exemple, M. Wilhelm ne se rendait jamais à la gare de Zurich, il gardait toujours sur lui son passeport suisse, ainsi que plusieurs

 

sacs à dos pour avoir l’air d’être un touriste. Chacun de ces cas représente la violence du profilage racial, et la quête de justice des familles dans un système qui est lent et peu accueillant. Il est à noter que ces exemples n’ont pas donné lieu à une enquête sur le racisme systémique dans l’application de la loi par les autorités cantonales ou confédérales en Suisse. De plus, et ce malgré des allégations persistantes de brutalité, de mauvaise conduite et d’abus de pouvoir de la part de la police, dans tous les cas évoqués celle-ci a mis en doute la validité des allégations de profilage racial et de mauvaise conduite, en niant que le profilage racial était omniprésent ou systémique. La violence à l’encontre des personnes d’ascendance africaine est souvent attribuée à des fautes individuelles. Les auteurs notent finalement que les personnes d’ascendance africaine ne sont manifestement pas représentées au sein de la police, du système judiciaire et des prisons, ce qui entretient un déficit de compétences culturelles dans le système. Le profilage racial et l’impunité pour les fautes raciales restent dès lors des problématiques difficiles à résoudre.

 

En outre, ces tristes constats ne mettent en lumière rien de nouveau. Ils ajoutent néanmoins une couche à des phénomènes déjà largement documentés et dont ont déjà souffert de nombreuses personnes. Il s’agit ici des violences policières, ou du profilage racial, celui-ci étant définit par le CNRS comme le fait de recourir à des critères d’apparence (couleur de peau etc.) plutôt qu’au comportement individuel pour fonder la décision de contrôler l’identité d’une personne1.

Il existe en effet à Lausanne des cas connus d’abus de la part de police. Nous pouvons notamment penser à ‘’l’affaire K’’ en 20062, ou à Mike Ben Peter, un Nigérian décédé après un contrôle policier à Lausanne en mars 2018 et qui serait mort des suites de son arrestation violente, bien que les avocats de la police contestent cette version.3

En dehors de ces deux affaires tragiques, le témoignage d’un ancien agent de la police lausannois, qui a choisi de démissionner et de témoigner publiquement, est particulièrement précieux pour mettre en lumière l’usage de certaines pratiques abusives courantes. Voici ce que ce dernier déclarait lors d’une interview diffusée sur la RTS4 :

 

Nous comprenons dès lors qu’à ce jour, et tel que déjà relevé par le postulat de Pierre Conscience en 2017, les interpellations de police sont le seul acte qui ne laisse aucune trace à disposition de la personne contrôlée. Cet état de fait pose un problème dans la mesure où, si la personne contrôlée souhaite contester le contrôle dont elle a fait l’objet, elle aura dû avoir en tête les ‘’bons réflexes’’, comme relever le nom et le matricule de l’agent ou encore noter l’heure, le lieu et le déroulement précis des événements.

 

1 CNRS (2007), Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris

2  https://www.lematin.ch/story/les-policiers-accuses-de-brutalite-sur-un-jeune-erythreen-condamnes-

219761491760

3 https://www.rts.ch/info/regions/vaud/9850679-lautopsie-de-lhomme-mort-lors-dun-controle-a-lausanne- exclut-loverdose.html

4https://www.rts.ch/info/suisse/11379580-un-expolicier-temoigne-du-delit-de-facies-au-quotidien-aussi-en-

suisse.html

 

C’est pourquoi, et au vu de ces éléments, nous pensons qu’il est urgent d’agir, dans les pouvoirs et limites de ce qu’une commune telle que Lausanne peut faire. Lutter contre le profilage racial, les violences policières, les arrestations abusives passe par de très nombreux moyens. Le présent postulat se concentre sur l’un d’entre eux : la remise de récépissés obligatoires après chaque contrôle/interpellation de la police.

Cette idée n’est pas nouvelle. Elle a été proposée à divers niveaux et dans différents contextes, notamment au sein du législatif lausannois en 2017, dans une résolution du PSS approuvée par le comité directeur en 2020, sous forme de postulat en août 2022 au législatif zurichois, mais surtout, elle est déjà en vigueur dans certaines villes et certains pays, et fait partie des recommandations de certaines organisations majeures luttant contre le profilage racial.

À ce titre, l’alliance contre le profilage racial a été créé en 2016, à la suite de l’affaire Mohamed Wa Baile. Le matin du 5 février 2015, le bibliothécaire est le seul à se faire contrôler par deux policiers à la gare de Zurich parmi tous les voyageurs. Comme les agents reconnaissent qu’aucune personne noire n’est spécifiquement recherchée, Monsieur Wa Baile refuse de leur décliner son identité et de présenter son passeport suisse. Les policiers fouillent alors son sac à dos et trouvent sa carte AVS, après quoi ils le laissent partir. Il devra finalement payer une amende pour refus d’obtempérer. Avec le soutien de l’Alliance contre le profilage racial, Mohamed Wa Baile s’est défendu en passant par toutes les instances, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.5

Dans un rapport publié par les chercheurs actifs au sein de l’alliance6, nous pouvons voir que l’une recommandations pour lutter contre le profilage racial est d’encourager et de faciliter l’introduction d’un système de reçus ou de programmes pilotes pour un tel système, qui exige que les officiers de police délivrent un reçu pour chaque contrôle d’un individu, contenant des informations générales sur le contrôle. Pour Tarek Naguib, juriste et cofondateur de l’Alliance contre le profilage racial, le problème est structurel et institutionnel au sein de la police, et doit être combattu par une stratégie antiraciste interdisciplinaire et collective.7

 

Si tant d’acteurs proposent d’instaurer cet outil aux forces de l’ordre, c’est parce que celui-ci a largement fait ses preuves. Dans un article du Monde paru en 2012, le cas de la ville de Fuenlabrada est décrit comme exemplaire8. Dans cette ville de 210’000 habitants située dans la banlieue de Madrid, en 6 mois le nombre de contrôles s’est réduit de moitié, en passant de 8000 contrôles par an à 4000, et le taux d’efficacité de cesse d’augmenter. En effet, sur 10 contrôles, 3 correspondent à des personnes qui ont réalisé une infraction, explique le chef de la police locale et responsable du programme pour l’Espagne. Les policiers étaient pourtant réticents, en raison de la peur du changement, ou de la sensation d’être accusés de racisme. Ils ont dû suivre une formation. Les représentants des communautés musulmane, africaine et chinoise leur ont expliqué ce que l’on ressent lorsque l’on subit « jusqu’à six contrôles d’identité par jour ».

En 2017, le journal ‘’Libération’’ relate lui aussi le cas de la ville espagnole9. Selon le média, à Fuenlabrada il n’existe pas ou très peu de délit de faciès, d’agissements racistes, islamophobes ou sexistes de la part des forces de l’ordre. Les passages à tabac sont inexistants, les incidents rares. La plupart des habitants, notamment les jeunes générations, parlent de leur police avec respect, parfois même avec reconnaissance. La police locale est admirée un peu partout et est invitée à donner des

5  https://www.stop-racial-profiling.ch/fr/gerichtsfaelle/mo-wa-baile/

6https://www.researchgate.net/publication/317847751_Alternative_Report_on_Racial_Profiling_practices_of

_the_Swiss_Police_and_Border_Guard_authorities

7 https://www.swissinfo.ch/fre/economie/racisme-anti-noir-en-suisse_-le-profilage-racial-est-un- probl%C3%A8me-institutionnel-au-sein-de-la-police-/43559390

8 https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/26/controles-au-facies-le-bilan-contraste-des-experiences etrangeres_1724674_3224.html

9https://www.liberation.fr/planete/2017/04/05/a-fuenlabrada-la-fin-de-la-police-macho-catho-et-

blanche_1560799/

 

conférences en Europe et aux Nations unies. C’est en effet 2006 que la municipalité gérée par le socialiste Manuel Robles a décidé d’humaniser sa police, jusque-là pas vraiment exemplaire. S’instaure un programme de lutte contre la discrimination qui, depuis, a porté ses fruits. Ce qui différencie la police de Fuenlabrada, c’est l’application d’un strict protocole. A chaque contrôle d’identité de routine, à chaque interpellation, les agents ont pour obligation de dresser un procès- verbal avec récépissé : le policier et la personne interpellée reçoivent la copie d’un document dans lequel sont consignés la durée du contrôle en question, son motif, ainsi que le sexe, l’âge, la nationalité et non l’origine ethnique du citoyen contrôlé. En outre, le matricule de l’agent doit être bien visible sur son uniforme. Celui-ci se doit aussi d’informer l’interpellé de ses droits et des recours judiciaires s’il estime que le policier a eu une attitude répréhensible ou s’il s’est montré responsable d’un manquement à la déontologie. Mentionnons finalement qu’un tel document a comme avantage de permettre d’obtenir à terme des données statistiques comme le nombre de contrôle, le motif, et surtout évaluer leur efficacité.

 

Pour toutes les raisons évoquées jusque-ici, nous pensons qu’il existe des moyens d’agir, et que la Ville de Lausanne doit tout mettre en œuvre pour que les événements tragiques en lien avec le racisme systémique survenus sur son sol et ailleurs n’arrivent plus. Le récépissé permettrait en effet de réduire le contrôle au faciès, et en même temps, de réduire les risques d’arrestations brutales et parfois mortelles qui surviennent après le contrôle. Le présent postulat souhaite donc apporter une pierre à l’édifice, en proposant à la Municipalité d’étudier :

 

–     La possibilité de mettre en place un système de récépissés/quittances, délivrés par les agents de police, de manière systématique, aux personnes contrôlées et/ou interpellées.

 

L’initiant : Mountazar Jaffar

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifications
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments