Postulat – Pour un budget véritablement participatif et démocratique

Mountazar Jaffar, conseil communal de Lausanne – Postulat déposé le 12 octobre 2021

 De nombreux observateurs s’accordent à penser que les démocraties sont en crise au vu des faibles taux de participation, de la baisse croissante de confiance en les institutions ou de la perte de légitimité des élus. En Suisse, dans le canton de Vaud ou à Lausanne, certains de ces phénomènes sont moins marqués qu’ailleurs, mais le fonctionnement démocratique ne peut pas s’exonérer d’un examen approfondi au vu, par exemple, des très faibles taux de participation aux élections communales. Sur le plan international, une série de dispositifs participatifs transcendant les limites géographiques et les types de régimes politiques émerge. Cette vague participative est récemment parvenue en Suisse, malgré les remparts de la démocratie directe traditionnellement érigée en étendard d’une forme pure de pouvoir du peuple. Certains voient en la démocratie participative un remède au malaise démocratique grâce à ses vertus inclusives des citoyens dans la gestion de cité. 

C’est dans ce contexte que Lausanne, en 2019, a fait office de pionnière en proposant le 1er budget participatif (BP) de Suisse, après des années de discussions entamées au conseil communal dès la fin des années 90’. Le BP peut être défini comme un outil qui permet la participation de citoyens non élus à la définition de l’usage des finances publiques. Son usage a permis en Amérique latine de nombreuses avancées sociales : réorientation significative des politiques publiques ; redistribution des richesses vers les quartiers périphériques ; mobilisation des classes populaires ; créations d’infrastructures urbaines et services sociaux de base à des populations jusque-là dépourvues etc. Cet outil de politique publique qualifié par le PNUD en 1996 de best practice trouve son origine à Porto Alegre au Brésil à la fin des années 80’. Créé suite aux pressions du mouvement populaire et de la société civile, le BP a depuis connu un succès significatif puisqu’il en existe aujourd’hui entre 1269 et 2778 dans le monde. La période très récente a par ailleurs été marquée par une hausse substantielle de ladite innovation : rien qu’en France, les BPs proposés par les municipalités ont été multipliés par 13 entre 2017 et 2018. 

Notons qu’il existe autant de formes de BPs que de collectivités qui les mettent en place. À Lausanne, le principe est simple. Il consiste en l’attribution graduelle des fonds mis au concours jusqu’à épuisement à des projets proposés par les habitants de Lausanne. À travers la démarche, le rapport-préavis 2018/12 souligne que : 

« Le dispositif permettra de renforcer le pouvoir d’agir des espaces citoyens, des collectifs d’habitants (…) de permettre aux habitants de s’exprimer sur certaines priorités et investissement prévus dans le cadre du budget ordinaire et d’investissement ». 

Plus encore, sur le site internet du BP, nous pouvons lire que : 

« Malgré toutes les institutions démocratiques traditionnelles que propose ce pays, le BP leur permet (aux citoyens) de s’intéresser à des décisions financières plus concrètes. Il suscite la mobilisation de personnes qui ne voulaient ou ne pouvaient pas prendre part à l’organisation de leur ville. En permettant à chacun de faire une proposition concrète, il s’ouvre à des groupes sociaux qui ne sont pas ou peu représentés politiquement. » 

L’art. 2 de la directive structurant le fonctionnement du BP lausannois permet finalement de synthétiser ses ambitions, à travers les 4 principes évoqués : 

« 1) créer de nouvelles relations entre la Commune et les citoyens 2) renforcer le lien social 3) inventer une nouvelle culture démocratique et mobiliser le sens de la citoyenneté 4) orienter les ressources financières publiques vers les besoins de la population, en particulier les plus modestes ». 2 

Cependant, en raison d’un certain nombre de facteurs, l’importation du BP en Europe et de manière générale dans les pays dits développés ne s’est pas accompagnée d’un approfondissement de la démocratie à l’instar des premières expériences. Lausanne ne fait à ce titre pas exception. En effet, en nous basant sur une recherche empirique menée sur les deux éditions du BP terminées à ce jour, nous avons pu voir qu’un nombre important d’observations émises à l’encontre de BPs européens sont également valables concernant le cas lausannois. De manière synthétique, le BP lausannois a vu naitre, sur les 2 éditions, des projets majoritairement en lien avec des préoccupations environnementales, qui prennent place dans les quartiers à revenu médian annuel supérieur, et qui sont portés par des habitants de classe moyenne intellectuelle déjà très insérés dans les réseaux associatifs. En somme, contrairement aux expériences pionnières et aux objectifs mis en avant, le BP lausannois dans sa forme actuelle reflète les inégalités existantes et octroie dans les faits de nouvelles possibilités aux citoyens les plus actifs et insérés. 

Au vu des résultats mis en avant par l’étude, et ce dans le but d’améliorer un outil au grand potentiel, le présent postulat invite la Municipalité à étudier les propositions suivantes : 

1. Innover dans le mode de sélection des projets proposés. À l’heure actuelle, le vote a comme effet l’écrasante surreprésentation des quartiers à moyen et haut revenu en raison de l’activation des réseaux des porteurs de projets. En lieu et place du système actuel, la création d’un jury citoyen, réuni sur base volontaire, ou tiré au sort, qui déciderait de l’attribution des fonds aux projets, et surtout, qui serait représentatif de la population lausannoise en termes de sexe, d’âge, de quartier, de profession, de revenu, voire, de nationalité, permettrait d’éviter les biais observés liés à l’activation des réseaux lors des phases de vote. 

2. L’instauration de quotas concernant l’attribution des projets par quartiers. Dans le sillage de ce qui a été entrepris d’abord à Porto Alegre puis en Espagne et au Portugal avec la mise en place de critères de discrimination positive, des quotas à Lausanne permettraient un meilleur équilibre dans la répartition géospatiale des projets. Bien que les inégalités entre quartiers lausannois soient a priori moins significatives qu’entre les quartiers urbains de Porto Alegre et les favelas situées en périphérie, il n’en demeure pas moins nécessaire qu’au lieu d’un renforcement et d’une amélioration de la qualité de vie des quartiers moyens et supérieurs, les quartiers populaires puissent également bénéficier de la mise en place de projets. 

3. « Aller chercher » les publics qui ne participent pas spontanément, et qui sont pourtant visés, tels que les jeunes, les étrangers, les populations modestes. Ce point nécessiterait des ressources additionnelles, notamment par la formation de personnel et la mise ne place d’une stratégie. Néanmoins, sans aller à leur encontre, à l’aide notamment d’actions et de campagnes ciblées, le risque de voir le dispositif être accaparé par des initiés ne pourra être que reconduit. 

4. Augmenter le budget mis au concours, en le prenant par exemple sur le budget d’investissement, afin de financer des projets pouvant exercer un plus grand impact, mais également, de stimuler le taux de participation. 

 

Lausanne, le 12 octobre 2021 

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