Interpellation: Quel dispositif cantonal et romand face à la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ?

Jean Tschopp, député – Interpellation déposée le 30 octobre 2012

Au cours de ces dernières années, l’univers de la prostitution a considérablement évolué en Suisse et notamment dans le canton de Vaud. La police de sûreté est de plus en plus sollicitée sur le terrain.

Selon les chiffres de l’association Fleur de Pavé, subventionnée principalement par l’Etat de Vaud comme la Ville de Lausanne et dont le but consiste à réduire les risques liés à l’exercice du travail du sexe, entre 2007 et 2011, les nombres de contacts de l’association avec les travailleuses du sexe sont passés de 7’385 à 12’791. Cette sollicitation accrue traduit l’augmentation du nombre de travailleuses du sexe actives dans la rue, dans les salons, via des offres par Internet ou les petites annonces.

En 2011, Fleur de Pavé relevait que « les travailleuses et travailleurs du sexe viennent de nouvelles zones géographiques, elles et ils sont parfois lié-e-s à des réseaux et, malheureusement, sont – pour certain-e-s – dépendant-e-s de proxénètes ».[1] Cette exploitation sexuelle touche des femmes de toutes origines, souvent d’Europe de l’Est.

Conscient du problème, dans son programme de législature 2012-2017, le Conseil d’Etat s’est engagé à « lutter contre l’augmentation des violences et renforcer la sécurité […] en vue notamment de lutter contre la traite d’êtres humains […] ».[2]

Face au développement de cette criminalité transfrontalière,[3] le cadre légal a évolué. Le 15 novembre 2000 était adopté le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite de personnes, en particulier des femmes et des enfants.

En 2006, après avoir ratifié le Protocole additionnel, l’Assemblée fédérale renforçait sa norme pénale contre la traite d’êtres humains (art. 182 CP). Cette disposition punit désormais de peine privative de liberté ou de peine pécuniaire « celui qui, en qualité d’offreur, d’intermédiaire ou d’acquéreur » ou de recruteur se livre à la traite d’êtres humains notamment à des fins d’exploitation sexuelle, autrement dit en traitant des êtres humains comme une « marchandise vivante » tout en tirant des revenus de cette activité.[4] A la différence de l’ancien droit, il suffit qu’une seule victime de la traite d’êtres humains soit identifiée pour incriminer son auteur.

En 2007, le Parlement fédéral complétait ce renforcement de la lutte contre la traite d’êtres humains en accordant aux victimes étrangères et aux témoins de la traite d’êtres humains un droit au séjour de courte durée en cas de collaboration à l’enquête policière ou à la procédure judiciaire (art. 30 al. 1 let. e LEtr, art. 35-36 OASA).

Faute de protection suffisante des victimes de la traite d’êtres humains pendant la durée de leur collaboration avec les autorités d’instruction, ce dispositif n’est pourtant pas complet. Or cette compétence relève principalement des cantons.

En 2011, l’association Fachstelle Frauenhandel und Frauenmigration (FIZ), active dans la lutte contre la traite et basée à Zurich identifiait 193 cas de traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, dont 55 dans le canton de Zurich.[5] Ces arrestations, souvent suivies de condamnations des auteurs, ont été rendues possibles grâce à la création d’un Centre d’intervention pour les victimes de la traite des femmes sous l’égide de l’association FIZ, créé sur la base des Centres de consultation cantonaux pour les victimes (art. 9 LAVI) et travaillant en étroite collaboration avec les services cantonaux de justice, de police et des étrangers. Ce Centre, subventionné par huit cantons de Suisse allemande[6] et par des donations, offre ainsi à ces femmes un espace pour la consultation, un soutien psychologique, un hébergement dans un lieu sûr ainsi qu’une aide financière pendant la durée de la procédure pénale.

Le soutien de l’association FIZ aux victimes de la traite d’êtres humains en libérant leur parole permet de combattre efficacement la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle en conformité avec les compétences données par la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infraction.[7] Parallèlement, faute de dispositif suffisant, la Suisse romande paraît en retard sur cette lutte. Ainsi, en 2011, seul trois cas de traite d’êtres humains avaient été identifié pour toute la Suisse romande, soit un dans le canton de Vaud, un dans celui de Genève et un à Fribourg.

Par la présente interpellation, au nom du groupe socialiste, le député soussigné pose les questions suivantes au Conseil d’Etat:

  • Quelles mesures ont été prises par le Conseil d’Etat pour mettre en œuvre le renforcement du droit fédéral pour combattre la lutte contre la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ?
  • Quelle est la stratégie du Conseil d’Etat pour renforcer la lutte contre la traite d’êtres humains ?
  • Quel soutien le Conseil d’Etat, par l’intermédiaire notamment du centre de consultation LAVI et de la Fondation PROFA, accorde-t-il ou entend-il accorder aux victimes de la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle en termes notamment de protection, de suivi judiciaire, de suivi psychologique et financier ?

Comment le Conseil d’Etat se positionne-t-il envers la possibilité de créer au niveau romand une institution de soutien et de protection destiné aux victimes de la traite d’êtres humains pour renforcer la lutte contre l’exploitation sexuelle ?

[1] Fleur de Pavé, Rapport d’activité 2011, p. 2-3.

[2] Programme de législature 2012-2017 du Conseil d’Etat, Axe 1 – Assurer un cadre de vie sûre et de qualité, Mesure 1.2 – Lutter contre l’augmentation des violences – renforcer la sécurité, 12 octobre 2012.

[3] Dans sa réponse de septembre 2012 à l’interpellation du député Jean-Marie Surer, le Conseil d’Etat attribuait notamment la hausse du nombre d’infractions au développement de la criminalité transfrontalière. 12_INT_017, Réponse du Conseil d’Etat à l’interpellation du député Jean-Marie Surer – Nos policiers sont-ils maintenant agents de détention ?

[4] Voir à ce sujet, l’arrêt du Tribunal fédéral : ATF 128 IV 123 consid. 4a.

[5] Fachstelle Frauenhandel und Frauenmigration (FIZ), Jahresbericht 2011, p. 6-8.

[6] Bâle-Campagne, Bâle-Ville, Berne, Lucerne, Obwald, Schwytz, Soleure, Zurich.

[7] Art. 5 et 13 al. 3 LAVI.

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