Le métro M2, une oeuvre collective

Pierre Imhof, membre du Parti socialiste

“Pas de promesses, des résultats”, dit le slogan des libéraux-radicaux. Avec pour seule illustration une rame de métro passant sous le pont Bessières et semblant entrer dans la tête d’Olivier Français, auto-proclamé “père” du M2. 24 heures a déjà relevé l’usurpation de cette paternité, sans pour autant rendre justice aux nombreuses personnes qui ont oeuvré pour que ce magnifique projet puisse devenir réalité.

Il est vrai que l’importante phase d’étude et d’obtention des différents crédits nécessaires n’ont guère laissé de traces dans la chronologie de l’ouvrage officiel publié par les éditions Favre en 2008: deux rubriques résument la période de 1986 à 2002, soit celle des études et du vote populaire cantonal, alors que quatorze sont consacrées à la phase de travaux et de mise en en exploitation, entre 2004 et 2008.

Il est toujours difficile de dire quand commence un projet, mais si l’on remonte dans le temps politique, qui a profondément rythmé le métro lausannois, on se rend vite compte qu’il a davantage de géniteurs – hommes et femmes – que d’accoucheurs.

La prolongation de la “Ficelle”, soit le métro qui reliait Ouchy au Flon, fait débat depuis plus de tente ans: Blécherette, Chailly, Epalinges sont les terminus ou passages envisagés, tous étudiés au fil des ans. Des variantes innombrables furent imaginées, dont celle qui prévoyait de faire passer le Lausanne-Echallens-Bercher par la Blécherette pour qu’il termine sa course au Flon.

Le projet fut tour à tout communal, régional et cantonal. C’est finalement à ce dernier échelon que se firent les études préliminaires, puis d’avant-projet en vue de la demande de concession, et que s’organisa le financement. La réalisation fut placée sous la responsabilité de la société Métro Lausanne-Ouchy, entièrement en mains de la Ville de Lausanne, qui la confia aux TL. Parmi les hommes et les femmes qui marquèrent cette aventure, il faut citer quelques visionnaires, quelques combattants et de nombreux obstinés qui ne se laissèrent pas décourager par les contrariétés et les écueils que tout projet mené sur plus de vingt ans traverse obligatoirement.

Les quatre syndics de Lausanne qui se succédèrent de 1981 à aujourd’hui – Paul-René Martin, Yvette Jaggi, Jean-Jacques Schilt et Daniel Brélaz – oeuvrèrent à des degrés divers pour le métro. Le premier a fait inscrire le principe d’une prolongation du Lausanne-Ouchy dans la conception régionale des transports. La seconde en a fait une évidence urbaine aux yeux des Lausannois, mais aussi d’un Conseil d’Etat ayant encore du canton une vision très campagnarde. Le troisième fut un artisan financier et le dernier s’est engagé sans compter dans une campagne de votation cantonale où le risque était de voir se creuser un fossé entre la région lausannoise et le reste du canton.

Car ce projet est avant tout, il ne faut pas l’oublier, cantonal: c’est à ce niveau que se sont faites toutes les études préliminaires et les montages financiers. Les conseillers d’Etat Marcel Blanc, puis Daniel Schmutz, obtinrent des crédits d’étude qui aboutirent au choix du tracé (du Flon à Epalinges sans passer par Chailly) et de la technologie (un métro sur pneus).

Il fallut ensuite convaincre un Conseil d’Etat qui se débattait dans des problèmes financiers et peinait de ce fait à se laisser emporter par des projets visionnaires mais coûteux. Ce sont d’ailleurs ces problèmes qui changèrent fondamentalement la donne et obligèrent à sortir sur la place publique avec le M2 bien avant que la première pierre ne soit posée. L’introduction dans la constitution du référendum financier obligatoire pour toute dépense supérieure à 20 millions de francs allait nécessiter que le M2 soit accepté par les instances politiques habituelles, mais aussi par le peuple. C’est dans cette période que le conseiller d’Etat Philippe Biéler eut l’intelligence de consacrer des moyens à une importante campagne de communication, tout au long de la vie du projet, visant notamment à montrer les avantages de ces quelques kilomètres de rails pour l’ensemble des Vaudois. On connaît le résultat: 62% des votants acceptent le projet de métro en votation populaire en novembre 2002, avec des oui qui dépassent de loin la seule région lausannoise. Ironie de l’histoire, le référendum financier obligatoire sera supprimé quelques mois plus tard, le 14 avril 2003, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution cantonale.

Le référendum financier obligatoire a contraint aussi à être inventif sur la question du financement. Imaginé initialement à l’échelle cantonale principalement, avec si possible une participation fédérale, l’idée s’est imposée progressivement de multiplier les acteurs financiers. Jean-Jacques Schilt, alors syndic de Lausanne, s’est engagé pour faire participer financièrement, par des emprunts garantis, la Ville de Lausanne et la société Métro Lausanne-Ouchy dont elle est propriétaire. Et Michel Béguelin, conseiller aux Etats, travailla en coulisses pour favoriser l’obtention d’un substantiel financement de la part de la Confédération. Plus récemment, c’est le conseiller d’Etat François Marthaler qui dut retourner devant le Grand Conseil pour se voir accorder le crédit nécessaire à la prise en compte du renchérissement.

Le métro M2, jusqu’à l’obtention des crédits et des permis nécessaires à sa construction, fut une oeuvre commune qui s’étala sur plus de vingt ans, avec des hommes et des femmes qui avaient compris les mutations de la ville et du canton qui l’irrigue.