Postulat — L’appui scolaire à Lausanne: constats et solutions pour une éducation pour tous

Déposé par Yusuf Kulmiye, conseiller communal – Postulat du 2 mai 2023

Ce postulat soulève la question du soutien scolaire à Lausanne et de son impact sur la réussite académique des étudiants. Bien que la ville offre un soutien aux étudiants en difficultés, via l’appui scolaire public et par le biais de partenariats avec le Centre Vaudois d’Aide à la Jeunesse CVAJ, il existe toujours des écarts entre les étudiants qui ont accès au soutien public et ceux qui peuvent se permettre des cours particuliers. Il en résulte une reproduction de l’inégalité sociale. Quels solutions pour une éducation pour tous ?

La situation de l’appui scolaire à Lausanne est un enjeu important pour les élèves et leur réussite académique. La ville de Lausanne, en partenariat avec le Centre Vaudois d’Aide à la Jeunesse (CVAJ), offre des services d’appui scolaire aux élèves en difficulté, souvent issus de familles à revenu modeste. Ces services visent à offrir un soutien éducatif de qualité, à améliorer la réussite scolaire des élèves et à favoriser leur épanouissement personnel. Cependant, malgré ces efforts, il existe encore des lacunes dans l’appui scolaire, notamment en ce qui concerne l’écart entre les élèves bénéficiant d’un appui public et ceux ayant accès à un appui privé. Cela peut entraîner une reproduction sociale basée sur la capacité financière à obtenir un soutien scolaire de qualité.

Le développement rapide des écoles privées de soutien scolaire en Suisse romande est alarmant et inquiétant. Il s’agit clairement d’un marché en marge de l’école publique, qui met en danger l’égalité des chances pour tous les élèves, en particulier ceux issus des classes populaires. Depuis une décennie, ces écoles privées se multiplient et de plus en plus, des noms tels que Alphalif, les Clefs du succès, Appuisa, IP Coaching ou encore Academia font partie du paysage éducatif en Suisse romande (RTS, https://www.rts.ch/info/suisse/6494380-boom-des-centres-prives-de-soutien-scolaire-en-suisse-romande.html).

Ces écoles privées de soutien scolaire ont des coûts élevés, les rendant inaccessibles pour les familles les plus modestes. Cela renforce les inégalités sociales et aggrave les écarts de performance entre les élèves des différents milieux socio-économiques. Les ménages qui n’ont pas les moyens financiers de payer ces écoles de soutien scolaire supplémentaires seront laissés pour compte et ne pourront pas bénéficier des mêmes avantages que les élèves issus de familles plus aisées.

Les études menées en Suisse romande révèlent l’existence d’inégalités scolaires entre les quartiers populaires et les quartiers riches, ainsi que des disparités entre les élèves issus de familles à revenu modeste et ceux issus de milieux plus aisés. Voici quelques chiffres alarmants qui illustrent cette situation :

Selon le rapport sur l’éducation en Suisse mené par le Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation en 2018, le soutien pédagogique extrascolaire rémunéré permet d’expliquer en partie les écarts et les inégalités entre les élèves. Ce soutien, dans le secondaire I, intervient inégalement selon l’origine socio-économique des ménages : « En 2012, plus de 34% des jeunes ont indiqué avoir bénéficié d’un soutien extrascolaire rémunéré au cours de la 10e ou de la 11e année de scolarité (…). Ce soutien est régulier pour deux tiers de ces jeunes, généralement des enfants de familles aisées’’. Le rapport montre aussi que les personnes issues de l’immigration ont un taux de certifications du secondaire II plus bas que les jeunes de nationalité suisse. Les facteurs et les explications de cette différence sont multiples. Il y a évidemment les compétences individuelles, les préférences. La possibilité d’obtenir un soutien extrascolaire de qualité fait également partie de ces facteurs explicatifs de l’écart et cela pose la question de l’équité et l’accessibilité à l’éducation.

D’autres études vont dans le même sens que ce rapport. Selon une étude menée par l’Office fédéral de la statistique en 2018, le taux de réussite à la maturité est nettement inférieur chez les élèves issus de familles à revenu modeste (64%) que chez les élèves issus de familles plus aisées (89%).

Ces chiffres montrent que les inégalités scolaires sont bien présentes en Suisse romande et qu’elles ont des conséquences significatives sur la réussite scolaire et les perspectives des élèves issus de milieux populaires. Les études mettent en avant plusieurs facteurs. L’un de ces facteurs est les différences de ressources éducatives à disposition des élèves en fonction de leur milieu social, notamment l’appui scolaire. Les conclusions de ces différentes études appellent à des politiques éducatives et sociales visant à réduire ces disparités et à garantir un accès égal à l’éducation pour tous les élèves, notamment via la mise en place de nouvelles approches dans le domaine de l’appui scolaire.

Il est également important de souligner que la reproduction des inégalités scolaires n’est pas forcément liée uniquement au travail scolaire ou au temps supplémentaire de travail. Plusieurs chercheurs tels que Jean-Yves Rochex et Bernard Lahire nous expliquent que l’histoire et l’expérience scolaire de chaque jeune est la continuité ou l’écho d’une histoire familiale, qui les précède, et que ces jeunes importent dans le milieu d’apprentissage qu’est l’école. Les travaux de ces sociologues nous montrent toutefois que ces éléments de l’histoire de ces jeunes se confrontent à une réalité objective qui est susceptible de les transformer. Dès lors, l’expérience scolaire, dans son sens large, pour certains élèves en difficulté, issus de milieux modestes ou de quartiers populaires, nécessite un soutien éducatif et social, ce que certaines associations de quartiers ou des communautés étrangères ont réussi à faire en alliant ces deux dimensions, pour faire sainement cohabiter l’identité de la maison et celle de l’école.

Afin de répondre à cette problématique, il est possible d’analyser la situation actuelle et de chercher des solutions, notamment en s’appuyant sur ces associations de quartier ou les associations de communautés. Ces associations peuvent jouer un rôle clé dans la réduction de l’écart entre les élèves en proposant des programmes d’appui scolaire de qualité, spécifiques à des élèves qu’ils connaissent, et en facilitant l’accès à ces services pour les élèves en difficulté. En travaillant ensemble, la Ville de Lausanne, le CVAJ et ces associations, ils auront les moyens de créer un environnement éducatif plus équitable pour tous les élèves.

 

Références :

Annick Jaton, « Conditions d’accès aux hautes écoles et inégalités sociales en Suisse », in Revue suisse de pédagogie spécialisée, no. 2, 2015, pp. 17-24.

Bernard Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, 1993

Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation (2018). L’éducation en Suisse – rapport 2018. Aarau: CSRE

Daniel Oesch « L’entrée à l’université : la fin d’un mythe égalitaire ? », in Swiss Journal of Sociology, vol. 43, no. 3, 2017, pp. 357–375.

Jean-Yves Rochex, ‘’Le sens de l’expérience scolaire’’ Paris, PUF, 1995.

Michel Oris, « Accès inégal à l’enseignement supérieur en Suisse : situation actuelle et perspectives », in Revue suisse de sociologie, vol. 41, no. 3, 2015, pp. 553-572.

Pierre Tripet et Nicolas Zorn, « Inégalités d’accès à l’université en Suisse : les causes profondes », in Education et sociétés, no. 37, 2016, pp. 69-85.

 

Le présent postulat invite la Municipalité à étudier l’opportunité d’analyser la situation de l’appui scolaire dans la ville et à envisager des solutions pour combler les écarts existants. Nous demandons également à la Municipalité de se pencher sur la possibilité de collaborer avec les associations de quartier et les associations des communautés pour garantir que tous les élèves puissent bénéficier d’un soutien scolaire de qualité, indépendamment de leur situation financière. Il est important de prendre des mesures pour assurer une éducation équitable pour tous les élèves, car cela contribue à construire une société plus juste et inclusive.

 

Signataire: Yusuf Kulmiye