Déposé par Carolina Carvalho, conseillère communale, le 2 décembre 2025.

En été 2025, deux adolescents ont perdu la vie à Lausanne lors de courses-poursuites avec la police, suscitant une vive émotion et des interrogations sur la légitimité de cette pratique. Dans les deux cas, les infractions étaient mineures, ce qui questionne la proportionnalité des risques encourus. Le corps de police lui-même doit être mieux préparé et protégé. Le postulat invite la Municipalité à compiler les bonnes pratiques internationales, établir un protocole précis encadrant la pratique des courses-poursuites, former les agents et informer le public afin de mieux protéger la population et les policiers.

 

En été 2025, Lausanne a été le théâtre de deux drames qui ont profondément choqué sa population. En juin, la jeune Camila, âgée de 14 ans, a perdu la vie dans le quartier de la Blécherette. En août, ce fut au tour de Marvin, 17 ans, de mourir tragiquement. Outre le jeune âge des victimes, deux autres points communs relient ces tragédies : un scooter et une course-poursuite avec la police.

 

Après le choc, l’indignation et les explications officielles, une question a résonné dans la société lausannoise : dans ces deux cas, la course-poursuite était-elle justifiée ? Autrement dit, les policiers impliqués auraient-ils pu, ou dû, renoncer à poursuivre ces deux jeunes ?

 

La presse a ensuite révélé l’existence d’un document interne du corps de police lausannois encadrant la pratique des courses-poursuites[1]. Selon le journal 24 Heures, un ordre de service permanent (OSP), actualisé en mars 2022 et adressé à l’ensemble du personnel policier de Lausanne, « définit les règles à suivre en matière de courses urgentes » et « vise à protéger l’intégrité physique des collaborateurs et des usagers, mais aussi à préserver les policiers des procédures auxquelles ils pourraient être exposés en cas de comportements contraires aux principes à respecter lors des courses urgentes ».

 

Ce document précise que la course-poursuite peut être justifiée par quatre objectifs :

  1. Sauver des vies humaines
  2. Écarter un danger pour la sécurité ou l’ordre public
  3. Conserver des biens de valeur importante
  4. Poursuivre des fugitifs

Force est de constater la « légèreté » de ces objectifs, notamment du quatrième, qui pourrait justifier presque n’importe quelle interaction avec les forces de l’ordre, de la plus anodine à la plus grave.

 

Par ailleurs, et à ce que l’article laisse entendre, ce document fait porter à l’agent·e de police toute la responsabilité de décider s’il faut s’engager ou non dans une course urgente, souvent dans des moments où le taux d’adrénaline est élevé et où la réflexion se joue en une fraction de seconde. Une responsabilité trop lourde à assumer lorsque l’issue peut être fatale. Les risques pour l’agent·e de police sont énormes : blâme, condamnation publique, poursuites pénales, accidents, traumatisme, etc.

 

Des critères plus objectifs pourraient-ils être définis pour justifier une course-poursuite ? Par exemple, le type d’infraction commise ? Dans les cas de Camila et de Marvin, des infractions mineures et non violentes (la participation à un « rodéo urbain » et un refus d’obtempérer lors d’un contrôle) étaient à l’origine de leur fuite. Hormis leur décision de s’échapper en scooter, rien ne laissait présager une infraction grave. Dans ces deux situations, les risques engendrés par la course semblent avoir largement surpassé les bénéfices escomptés. Or, le rôle des forces de l’ordre est de minimiser les risques des situations dangereuses, au lieu de les exacerber en lançant une course-poursuite. Des standards plus rigoureux et précis, permettant de mieux encadrer les situations où une course-poursuite peut être initiée par la police, sont donc nécessaires.

 

Des exemples pertinents existent ailleurs dans le monde. Le corps de police de Minneapolis, dans l’État du Minnesota (États-Unis), a mis en place un protocole spécifique pour aider ses agent·e·s à déterminer si une course urgente est justifiée. Ce protocole établit une liste précise de crimes pour lesquels une personne peut faire l’objet d’une course-poursuite : agression sexuelle avec arme, homicide, coups et blessures, vol aggravé et enlèvement[2]. Il s’agit, donc, de situations où une menace immédiate et crédible est avérée. Et même dans ces cas, si la sécurité publique est compromise, le protocole stipule que la course-poursuite doit être abandonnée.

 

De plus, la réussite d’un entraînement strict — incluant la maîtrise de la conduite, la conscience dimensionnelle, la prise de décision critique et le maintien du contrôle — est une condition préalable obligatoire pour tout le corps de police, indépendamment du grade, et doit être renouvelée tous les cinq ans.

Enfin, le corps de police de Minneapolis mène une campagne de conscientisation auprès de la population sur comment réagir dans l’espace public lors qu’une course-poursuite est en cours. La mise en place d’une telle mesure ne veut pas dire que les personnes en fuite – ou même les passants accidentellement blessés par un véhicule en poursuite – sont les seules responsables de leur sort et des conséquences de la course d’urgence. Les policières et policiers doivent protéger la population et sont entraînés pour cela. Elles et ils doivent donc pouvoir assumer le rôle des « adultes dans la pièce » lors des situations dangereuses.

 

Les départements de police de Houston et de Cincinnati, aux Etats-Unis également, ont récemment adopté une démarche semblable[3], inspirés par des recommandations[4] du Département de justice américain, émises en 1990.

 

Réfléchir aux mesures mise en place ailleurs et en conserver les bonnes pratiqques permettrait à la police lausannoise de mieux protéger la population, mais aussi elle-même, lors de ces situations. Les agentes et agents de police, au bénéfice d’une procédure claire et d’une formation solide, seraient mieux outillés pour juger le besoin de poursuivre une personne suspecte, en pondérant les risques pour soi et pour le public.

 

Le présent postulat invite donc la Municipalité à étudier l’opportunité de :

 

  1. Compiler et analyser les bonnes pratiques relatives aux courses-poursuites appliquées par d’autres corps de police, en examinant notamment les alternatives à cette méthode d’appréhension des personnes suspectes.
  2. Établir un protocole exhaustif définissant précisément les situations où une course-poursuite est justifiée, ainsi que les modalités de son déroulement et les critères imposant son abandon.
  3. Mettre en place une sensibilisation aux risques et une formation obligatoire pour tout membre du corps de police, afin d’améliorer la capacité de décision sous pression et les compétences techniques des agent·e·s.
  4. Lancer une campagne de communication publique sur ces mesures et sensibiliser la population à la question, notamment au comportement à adopter face aux injonctions de la police.

[1] https://www.24heures.ch/lausanne-quelles-sont-les-regles-en-cas-de-courses-poursuites-101125778049

[2]Sex assault with a weapon, homicide, assault on the first or second degree, robbery (aggravated only), kidnapping”. Source: https://www.cbsnews.com/minnesota/news/police-pursuit-training/

[3] https://www.governing.com/management-and-administration/how-police-can-pursue-without-harming-the-public          

[4] https://www.ojp.gov/pdffiles1/Digitization/122025NCJRS.pdf