Déposée par Samuel de Vargas, conseiller communal — Interpellation du 10 septembre 2024
Les domaines viticoles de la Ville de Lausanne situés sur La Côte, le Château Rochefort (Allaman) et l’Abbaye de Mont (Mont-sur-Rolle), produisent exclusivement des vins certifiés «demeter», c’est-à-dire selon la méthode de la «biodynamie». Cette méthode s’appuie sur les théories, écrits et conférence de Rudolf Steiner, en particulier des «conférences de Koberwitz» sur l’agriculture [1].
Selon les informations disponibles sur le site www.demeter.ch, les acteurs de la biodynamie sont regroupés dans une organisation appelée «Fédération demeter». Selon sa «Stratégie 2019 – 2025» [2], cette fédération poursuit les deux tâches suivantes:
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Le soin de la terre, c’est-à-dire le renforcement du sol, des plantes, des animaux et des humains en tenant compte de la dimension cosmique qui s’y rattache. Le devoir culturel qui incombe à l’agriculture doit être renforcé, co-façonné et développé.
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La production d’aliments labellisés Demeter qui renforcent physiquement l’être humain de telle manière qu’il est soutenu dans son développement spirituel et psychique. Cette qualité élevée doit être préservée pendant la transformation.
Le même texte indique que «le mouvement biodynamique (…) s’efforce d’endosser la suprématie thématique dans tous les domaines liés à l’agriculture bio».
Les statuts de l’«association pour la biodynamie», composante de la fédération susmentionnée, mentionnent que «Les chef·fe·s d’exploitation de fermes certifiées Demeter doivent obligatoirement être membres de l’Association» [3]. Assez mystérieusement, les mêmes statuts mentionnent la chose suivante: «en ce qui concerne la coopération avec des organisations racistes ou l’affiliation à elles, la position défendue par le mouvement biodynamique doit être suivie». Ces statuts n’ont rien d’ancien puisqu’ils ont été révisés en 2021.
Il faut relever que la présence, dans les écrits de Rudolf Steiner, d’assertions racistes et antisémites, n’est plus contestée, même si les interprétations à en donner divergent. Pour schématiser: certains plaident pour une historicisation de ces propos, qui devraient être réinscrits dans un contexte où certaines théories racistes étaient assez largement admises, ce qui tendrait à relativiser les propos en question. D’autres critiquent plus franchement ces propos du fondateur de l’anthroposophie et y voient une révélation de tendances profondes [4].
La «Fédération demeter Suisse» gère les droits de la marque «demeter» en Suisse. Elle demande aux producteurs certifiés une contribution de 21 francs par hectare de vigne, ainsi que des droits d’utilisation se montant à 0.2% du chiffre d’affaires à partir d’un montant de 500’000 francs, que les exploitations viticoles lausannoises susmentionnées atteignent probablement.
Les directives applicables aux domaines certifiés «demeter» sont très précises [5]. L’emploi pour le traitement des sols de préparations spécifiques est obligatoire. On citera par exemple les deux préparations principales, la «bouse de corne» et la «silice de corne». La préparation de «bouse de corne» commence ainsi: «les cornes de vache sont remplies de bouse puis enfouies dans la terre où elles passent l’hiver» [6]. Ensuite, «Les préparations à pulvériser sur les cultures doivent être brassées (dynamisées) en recherchant un rythme actif et énergique durant exactement une heure avant d’être pulvérisées». Ce brassage se fait sur la base des proportions suivantes: «1 à 4 contenus de corne de la préparation de bouse de corne (60-240 cm3) sont dynamisés dans 30-100 litres d’eau et pulvérisés sur un hectare.».
Compte tenu de ce qui précède, les soussigné·e·s remercient d’avance la Municipalité pour ses réponses aux questions suivantes:
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Comment la Municipalité comprend-elle la «dimension cosmique» que l’agriculture «demeter» doit tenir compte?
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Qui représente les domaines certifiés de la Ville au sein de l’association suisse pour la biodynamie?
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Comment la Municipalité comprend-elle l’article des statuts concernant la coopération avec des «organisations racistes»? La Municipalité sait-elle quelle est la «position du mouvement biodynamique international» à laquelle il est fait référence?
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Quelles sont concrètement les méthodes issues de la biodynamie qui sont appliquées sur les domaines viticoles communaux?
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La Municipalité peut-elle détailler la totalité des flux financiers passés et actuels liés à la certification «demeter»? On pense notamment aux frais d’affiliation, aux frais récurrents de licence, aux cotisations à des associations, etc.
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Quels effets la Municipalité attribue-t-elle aux préparations fortement diluées prévues par le cahier des charges «demeter»?
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La Municipalité estime-t-elle que l’affiliation à «demeter» est compatible avec une neutralité religieuse et confessionnelle?
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Comment le choix d’appliquer les méthodes «demeter» plutôt qu’une certification biologique classique a-t-il été fait?
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[1] Disponible ici : http://anthroposophie.byu.edu/vortraege/327.pdf
[2] Stratégie demeter 2019 – 2025, https://demeter.ch/wp-content/uploads/2019/02/Strategie-Demeter_2019-2025.pdf[3] Statuts de l’association pour la biodynamie, https://demeter.ch/wp-content/uploads/2021/07/Statuten-ab- 05.07.2021_FR.pdf
[4] Pour une version plutôt relativisante, issue du mouvement anthroposophique, mais validant néanmoins l’existence de nombreux passages racistes dans ses écrits, cf. : https://www.waldorfschule.de/fileadmin/downloads/Erklaerungen/Frankfurter_Memorandum_Deutsch.pdf Pour une version pointant la persistance de liens au moins jusque dans les années 1940, relevant notamment l’admiration du magazine allemand « demeter » pour la guerre et pour A. Hitler, cf. : https://epublications.marquette.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1089&context=hist_fac