Déposée par Samuel de Vargas, conseiller communale, le 4 novembre 2025.

La location de courte durée via des plateformes s’est fortement développée ces dernières années. Elle suscite aujourd’hui des préoccupations croissantes : retraits de logements du marché locatif, effets à la hausse sur les loyers et, plus récemment, usages « transitoires » d’appartements. Dans certains cas, ceux-ci interviennent après des résiliations de masse, dans l’attente de vider entièrement des immeubles. Plusieurs acteurs offrent d’ailleurs des « solutions » intermédiaires pour des propriétaires en phase de transition, ce qui fait craindre des contournements du cadre légal et accentue la pression sur le parc locatif.

 

Le Canton a pourtant renforcé l’arsenal juridique : depuis le 1er juillet 2022, la loi sur l’exercice des activités économiques (LEAE) impose aux loueurs de s’annoncer à la commune, de tenir un registre des hôtes et de requérir une autorisation préalable dès lors qu’un logement est loué pour de la courte durée plus de 90 jours par année civile (lorsqu’il est soumis à la loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL)). La surveillance de l’application incombe aux communes, les préfectures étant compétentes pour les sanctions.

 

Un premier bilan cantonal[1] mentionne 55 dénonciations à la préfecture du district Riviera-Pays-d’Enhaut depuis le 1er juillet 2022, 20 sanctions prononcées, et au moins 133 communes disposant d’un registre des loueurs. L’ensemble des dénonciations a été transmis par l’Association Sécurité Riviera (ASR). Le Canton indique en outre qu’à ce jour aucune demande de changement d’affectation (> 90 jours) n’a été adressée à la Direction cantonale du logement.

 

S’agissant de l’ampleur du phénomène, le Canton indique que 5’573 annonces étaient actives en janvier 2025 dans le canton de Vaud, dont 72 % de logements entiers, et environ 10 % potentiellement retirés du marché locatif standard. Ces données sont mises à jour trimestriellement et mises à disposition des communes pour le suivi et les contrôles.

 

À Lausanne, plusieurs interventions ont déjà mis ce dossier à l’agenda. L’interpellation[2] de M. Benoît Gaillard sur les logements non disponibles (« lits froids ») a rappelé la nécessité d’utiliser les outils à disposition.

 

Dans le prolongement de cette démarche, un postulat[3] du même auteur – déposé pour demander d’agir et dont on attend une réponse de la Municipalité – souligne que, même si les compétences communales sont limitées, la Ville dispose d’une réelle marge de manœuvre pour surveiller ces activités. Il demande notamment : (i) la désignation ou la création d’un service/unité compétente pour l’exécution de la loi cantonale, (ii) la présentation d’un plan d’action pour la surveillance des locations de courte durée et le contrôle des activités contraires à la loi, avec un nombre cible de contrôles annuels, et (iii) le déploiement d’une information large au public et aux propriétaires sur le cadre légal et les sanctions en cas de non-respect.

 

Par ailleurs, il est parvenu à l’interpellateur que des citoyennes et des citoyens ont dénoncé aux autorités communales des situations apparemment illégales. Pourtant, selon ces retours, ces dossiers auraient fait l’objet de renvois successifs entre services, sans prise en charge claire ni suivi coordonné, laissant ces cas préoccupants sans traitement effectif.

 

Au-delà de son impact sur le parc locatif, le développement des locations de courte durée soulève également des enjeux de sûreté publique. Plusieurs villes européennes ont en effet constaté que ces plateformes pouvaient servir de vecteurs de dissimulation pour certaines activités criminelles (trafic de stupéfiants, blanchiment d’argent, proxénétisme, etc.). Leur fonctionnement même favorise de tels détournements : contrôle d’identité lacunaire, rotation rapide des occupant·e·s, transactions dématérialisées et responsabilités fragmentées entre hôtes, propriétaires, plateformes et autorités. Ces aspects, souvent sous-estimés dans le débat public, méritent d’être soulignés. Ils mettent en évidence la nécessité d’une coopération renforcée entre la population, l’administration et la police. Il paraît dès lors légitime de s’interroger sur l’opacité que ces plateformes introduisent, propice à certains abus et susceptible d’entraîner une charge de travail accrue pour les forces de l’ordre, ainsi que des risques supplémentaires pour la population.

 

Les établissements hôteliers sont tenus de consigner l’identité de leurs client·e·s dans un registre accessible aux autorités compétentes. Dans le cas des locations de courte durée, ce contrôle – pourtant prévu par la loi – apparaît souvent moins systématique, voire contourné ou non centralisé. Ce déséquilibre crée non seulement une inégalité de traitement entre les acteurs du logement, mais complexifie également les contrôles.

 

Rappelons enfin que le droit cantonal confie aux communes la responsabilité de tenir un registre des loueurs, d’assurer la surveillance du respect du cadre légal, ainsi que de mettre en œuvre des outils de suivi, notamment l’exploitation de données pour cibler les contrôles.

 

 

Au vu de ce qui précède, nous souhaitons poser les questions suivantes à la Municipalité :

                  1. La Municipalité tient-elle un registre des loueurs conforme à la LEAE ? Combien de loueurs et de logements y sont annoncés, et quelle est l’évolution annuelle des annonces depuis 2022 ?
                  2. La Municipalité dispose-t-elle d’un accès effectif aux informations prévues à l’art 74c, al. 3 LEAE, notamment l’identité des personnes hébergées et les périodes d’hébergement ? Le cas échéant, la Ville utilise-t-elle ces données pour effectuer des contrôles ?
                  3. Combien de demandes la Ville a-t-elle préavisées et transmises au Canton depuis 2022 ? Quelles issues (autorisations/refus) et quelles mesures préventives sont prises pour éviter la soustraction de logements au marché ?
                  4. Quelle organisation (unités, ressources, procédures) la Ville a-t-elle mise en place pour repérer les locations non annoncées et les retraits du marché ?
                  5. Combien de signalements citoyens la Ville a-t-elle reçus ? Comment sont-ils instruits et avec quels délais ?
                  6. La Municipalité constate-t-elle des résiliations de masse suivies d’usages « transitoires » via des plateformes ou des intermédiaires ? Quelles mesures concrètes sont prises (contrôles ciblés, coordination cantonale) ?
                  7. Quelle appréciation la Municipalité porte-t-elle sur les risques que ces locations peuvent engendrer pour la sécurité publique ? Quelles actions sont entreprises en ce sens ?
                  8. Quel est le calendrier pour un plan d’action intégrant la réponse au postulat de M. Benoît Gaillard (service dédié, objectifs annuels de contrôle, information du public/propriétaires, tableau de bord) ?

[1] Réponse du Conseil d’État à l’interpellation Muriel Thalmann et consorts : « Mise en œuvre de la règlementation cadrant les locations par l’intermédiaire de plateformes d’hébergement en ligne : quel bilan ? » (24_INT_160)

[2] Interpellation de M. Benoît Gaillard déposée le 15 mai 2023 : « Combien de logements bâtis mais non disponibles à la location et combien de lits « froids » à Lausanne ? Comment remettre des logements existants sur le marché locatif ? »

[3] Postulat de M. Benoît Gaillard déposé le 16 mars 2023 : « Lutter efficacement contre la soustraction de logements au marché locatif : stratégie municipale de contrôle et de sanction contre les locations de courte durée illégales. »