Déposé par Mountazar Jaffar, conseiller communale, le 4 novembre 2025.

1. Contexte et problématique

La Ville de Lausanne se veut solidaire, exemplaire et à l’écoute de toutes et tous. Elle l’est

d’ailleurs déjà, notamment à travers le développement de projets pilotes et innovants comme

les permanences sociales dans certains quartiers prioritaires, ou encore le regroupement des

prestations au sein d’Info‑Sociale, qui permettent de mieux accueillir, renseigner et lutter contre

le non-recours aux aides. Certains services, comme le SSL, ont également placé l’amélioration

de l’accueil et de l’accessibilité administrative au cœur de leur programme d’action. Le

personnel des unités au service de la population s’engage activement pour délivrer des

prestations et soutenir les habitantes et habitants. Il porte des valeurs éthiques importantes,

basées sur la solidarité et le respect. Malheureusement, il arrive souvent que l’expérience vécues

par des usagers et usagères soient problématiques. La surcharge de travail, des procédures

inutilement suspicieuses, des obstacles dans l’accès aux prestations, une formation à renforcer

expliquent ces expériences et notre commune doit s’engager activement contre ce que les

spécialistes appellent la ‘’violence administrative’’

.

Parmi les différentes formes d’inégalités auxquelles sont exposées certaines populations, en

particulier les plus vulnérables, figurent en effet les ‘’violences administratives’’

. Celles-ci,

souvent diffuses et moins visibles que d’autres, se manifestent dans les relations asymétriques

entre les usager·ère·s et les institutions chargées d’attribuer des aides sociales, de délivrer des

logements subventionnés, de recevoir des dépôts de plainte, d’assurer l’accompagnement à la

réinsertion professionnelle ou simplement d’informer.

De nombreux travaux ont documenté ces réalités, notamment ceux de Morgane Kuehni (2015)1

,

qui montre comment les interactions au sein des ORP en Suisse peuvent devenir des expériences

humiliantes et disqualifiantes – en particulier pour les femmes, les personnes racisées ou issues

de milieux populaires, souvent moins armées pour faire face à des remarques stigmatisantes.

Selon Kuehni, le rapport de pouvoir est tel que les bénéficiaires, souvent dépendant·e·s

financièrement, n’osent pas contester les remarques ou décisions – même lorsqu’elles sont

empreintes de mépris, de sexisme ou de stigmatisation sociale. Par ailleurs, une part importante

de la population adulte en Suisse – près de 15 % – rencontre des difficultés en lecture ou en

calcul, ce qui renforce l’inégalité d’accès aux codes administratifs2

. De même, une importante

partie de la population lausannoise ne maitrise pas bien le français, constituant un obstacle

supplémentaire.

2. Pression et néolibéralisme

Ces violences étant rarement intentionnelles, elles prennent vie dans un cadre plus général de

transformation du rôle des institutions sociales sous influence néolibérale. Les débats sur le

chômage, l’aide sociale ou la précarité mobilisent depuis plusieurs années les mêmes figures :

celle de l’’’assisté·e’’, du ‘’profiteur’’ ou du ‘’chômeur démotivé’’

. Comme l’écrivait Duvanel

1 https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2006-3-page-109?lang=fr

2https://www.rts.ch/info/suisse/2025/article/illettrisme-en-suisse-844-000-adultes-peinent-a-lire-et-compter-

revele-l-ofs-29037533.html

1en 2002, le chômage en Suisse est progressivement passé d’un dispositif d’aide à un dispositif

de contrôle, avec une montée des sanctions, une responsabilisation individualisée du chômage,

et une logique de performance3

. Ces violences peuvent également s’inscrire dans des contextes

de surcharge administrative tel que le relevait le 24 Heures en mars 2023.

3. Le racisme systémique

Le phénomène des violences administratives s’inscrit également dans un second cadre plus

large : celui du racisme systémique. Loin d’être un problème individuel ou marginal, il traverse

l’ensemble de la société et des institutions – y compris les administrations publiques. Comme

l’a montré une récente enquête menée à Genève4

, les personnes issues de l’immigration,

notamment non-européenne, sont plus exposées aux refus, aux malentendus, à la

disqualification ou à des jugements implicites sur leur style de vie, leurs choix familiaux ou

leur “intégration”. Ces constats rejoignent ceux d’associations comme Caritas ou le CSP, qui

dénoncent régulièrement la multiplication des obstacles, la complexité des démarches, le

sentiment de suspicion généralisée et la tendance à considérer les bénéficiaires comme des

“coupables” plutôt que comme des personnes en difficulté. Ces expériences génèrent de la

honte, de la colère, et surtout, du non-recours aux droits.

4. Conséquences

La peur d’être confronté à l’administration engendre le non-recours aux droits et prestations

sociales. La crainte du jugement, les remarques déplacées, la violence symbolique ainsi que la

complexité et les exigences bureaucratiques dissuadent certaines personnes d’ouvrir un dossier.

Cela menace la cohésion sociale et menace l’égalité des chances. Par ailleurs, de nombreuses

situations ne sont jamais remontées, par peur, et en raison de la situation de dépendance de ces

populations aux prestations dont elles bénéficient. Cette dynamique ne relève pas uniquement

de la dépendance économique, mais aussi de l’asymétrie d’information entre l’administration,

détentrice des règles et des ressources, et les usager·ère·s qui viennent les solliciter.

5. Conclusions

Pour aller plus loin dans la concrétisation des principes d’inclusivité, d’exemplarité et de

transparence qui fondent l’action municipale, le présent postulat demande à la Municipalité de:

1. Mandater une étude qualitative indépendante (HETSL, UNIL ou toute autre institution

universitaire) afin de : 1) recueillir des témoignages sur les expériences vécues dans les

différents services de la Ville qui accueillent et accompagnent les usager·ère·s, tels que :

le service social ; du travail ; ARLO ; police ; contrôle des habitants et autres guichets

préalablement sélectionnés ; 2) identifier et analyser les formes de violences

administratives et les discriminations vécues, notamment en lien avec le genre,

l’origine, la classe sociale ou le statut administratif.

2. À l’image des formations obligatoires que suivent les membres de l’administration (par

exemple, sur le harcèlement), mettre en place un programme de sensibilisation et de

formation continue à destination des employé·e·s en contact avec les usager·ère·s,

incluant des modules sur les violences institutionnelles, les biais implicites ainsi qu’une

3 https://journals.openedition.org/sdt/46206

4 https://www.hes-so.ch/actualites/detail-actualites/non-recours-aides-sociales-sante-percue-revue-15530

2formation spécifique sur le racisme systémique en collaboration avec des experts et des

associations actives sur le terrain.

3. Créer un dispositif indépendant de médiation et d’écoute, facilement accessible aux

usager·ère·s, permettant de signaler des situations problématiques ou des violences

administratives vécues. Un tel organe permettrait d’encourager le signalement,

d’améliorer la transparence et la qualité des prestations, sans sentiment de crainte du

côté des usagères et usagers. Ce point fait écho aux postulats déposés par Madame

Françoise Longchamp et Monsieur David Payot il y a quelques années.

4. Rendre, à chaque fois que c’est possible, la communication de la Ville en langage

‘’facile à lire et à comprendre’ (FALC), tant dans les envois écrits personnels que dans

les brochures et documentation générales et le site internet communal.