Déposé par Séverine Graff, conseillère communale — Postulat du 4 mars 2025
Les chiffres manquent toujours en Suisse pour évaluer la prévalence de l’inceste, mais en se basant sur les chiffres français récents, on estime que près de 10% de la population aurait été victime d’agressions incestueuses, soit plus de 2 enfants par classe. La Suisse est affreusement en retard sur la reconnaissance de ce fléau, puisque le Code pénal évoque encore des enfants «séduits» pour désigner les victimes incestées (Art 213). Mais Lausanne, «Ville amie des enfants», doit se montrer pionnière en la matière en empoignant tous les outils de compétence communale pour lutter contre les agressions sexuelles commises au sein de la famille.
Volet formation des professionnels en contact avec les enfants.
Selon le rapport français de la CIIVISE, les professionnels de l’enfance sont démunis face aux récits des victimes:
«Non seulement les enfants sont très peu nombreux à se confier à des professionnels (15%), mais en plus, les professionnels sollicités par les enfants ne sont pas protecteurs. Près de 6 professionnels sur 10 n’ont pas protégé l’enfant à la suite de la révélation des violences (58%)1»
Il est donc urgent d’améliorer le repérage et de mettre en place, pour tous les professionnels lausannois en lien avec les enfants (enseignant·es, infirmières scolaires, assistant·es socio-éducatifs dans le parascolaire) des stratégies efficaces de détection pour augmenter le taux de signalement et pour orienter efficacement vers une prise en charge adaptée des violences sexuelles intrafamiliales qui ne mette pas en danger l’enfant ou l’adolescent et lui permette de faire des démarches sans risque de représailles.
Volet prévention des passages à l’acte et informations aux victimes
Dans l’imaginaire, on se représente le pédocriminel comme un danger venant de l’extérieur. Or, c’est bien la famille qui constitue majoritairement pour l’enfant une zone de risque potentiel pour son intégrité physique, psychique et/ou sexuelle. Ce paradoxe, au cœur du phénomène incestueux, doit faire l’objet d’une communication explicite aux jeunes, à la fois pour informer les victimes de leurs droits et des possibilités de prise en charge, et pour prévenir les passages à l’acte. En effet, un incesteur sur cinq est mineur, et le tiers des agressions se déroulent dans la fratrie2. Il faut donc s’adresser aux jeunes, auteurs comme victimes par une campagne de prévention.
Volet police
La Police municipale de Lausanne a un rôle à jouer pour lutter contre la crise silencieuse qui entoure l’inceste en Suisse. Proche de la population, elle pourrait, sans se substituer au travail de la Division des mœurs (PolCant), proposer un volet d’explication sur la procédure, le droit des victimes, et informer sur les ressources locales. Par ailleurs, l’Unité spéciale pour la prise en charge des victimes devrait étendre son champ d’action à la problématique de l’inceste. L’enjeu est d’éviter que les enfants ne sont pas entendus, ou entendus des semaines ou des mois après la première révélation, ce qui modifie les souvenirs de l’enfant et donc la qualité de l’enquête. En cas de suspicion d’inceste, l’enfant devrait pouvoir être entendu par la Police dans les plus brefs délais afin de documenter de manière la plus fiable possible ses dires sans avertir le présumé auteur dans un premier temps afin de pouvoir évaluer la sécurité de l’enfant avant toute procédure.
Pour ce faire, nous avons l’honneur de demander à la Municipalité d’étudier l’opportunité de :
• Mettre sur pied une prévention dans les classes par la Brigade de la Jeunesse en collaboration avec l’UPSPS, par un atelier qui explicite que le danger peut venir de la cellule familiale.
• Proposer deux entretiens individuels spécifiques autour des violences sexuelles et des violences intrafamiliales avec tous les écoliers et écolières lausannois, à la fin du primaire et au Secondaire I), sur le modèle de ce qui est proposé en France.
• L’Unité spéciale pour la prise en charge des victimes de la Police municipale devrait étendre son champ d’action à la problématique de l’inceste, envisagé comme une violence intrafamiliale, en ajoutant une page d’information sur l’inceste sur le site de la Police de Lausanne, en expliquant aux victimes leurs droits, en présentant les démarches à effectuer pour une prise en charge et listant les associations de soutien.
• Proposer une campagne de sensibilisation, avec un double volet victime et auteur.
• Proposer des formations continues sur l’inceste (repérages des victimes et des jeunes auteurs, prise en charge et orientation) pour tous les professionnels de l’enfance et créer en collaboration avec le dispositif SESAME une cellule de conseil et de soutien pour les professionnel·es destinataires de révélations de violences sexuelles de la part d’enfants, pour clarifier les procédures.
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1 Rapport de la CIIVISE [Synthèse], Violences sexuelles faites aux enfants, 2023, p. 16.
2 Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations: Anthropologie de l’inceste, Paris, Pocket, 2021.