Des retraités trop riches et trop chers, vraiment?

Grégoire Junod – paru dans 24 heures du 3 décembre 2010

Les aînés se lèvent tôt, c’est bien connu. L’âge avançant, la durée quotidienne du sommeil décline effectivement. Qu’importe, dès le 12 décembre prochain, les retraités vaudois au bénéfice d’un abonnement Senior auprès de Mobilis ne pourront se déplacer qu’à partir de 9 heures du matin. Debout aux aurores, mais interdits de bus au réveil. Un comble! Pour couronner le tout, le prix de l’abonnement prendra 10% au passage.

Cette décision soulève depuis quelques semaines de très vives protestations, au point que les TL eux-mêmes espèrent encore convaincre leurs partenaires de faire machine arrière. Tant mieux. Car cette décision est aberrante à plusieurs titres.

D’abord, elle pourrait bien ne pas produire les effets escomptés. Qui peut vraiment croire que les bus seront moins bondés aux heures de pointe après en avoir chassé les quelques retraités qui s’y aventurent encore? En réalité, c’est une autre partition qui se joue ici: les prémices, en Suisse, de l’introduction d’une politique de prix différenciés. Selon le jour et l’heure de son déplacement, on paiera ainsi plus ou moins cher. A première vue, le mo- dèle semble séduisant, l’usager pouvant ici ou là trouver de bonnes affaires. Mais ce que les uns économisent sort toujours de la poche des autres. Les usagers qui ne peuvent choisir le moment de leur déplacement seront à coup sûr les dindons de la farce.

Mais le plus grave est ailleurs. Cette décision est révélatrice d’un mépris croissant de certains milieux à l’égard des seniors, de plus en plus souvent présentés comme les nouveaux privilégiés. C’est indéniable: la pauvreté des aînés a massivement diminué depuis le milieu du siècle dernier, grâce au développement de nos assurances sociales. Mais le combat est loin d’être terminé. En 2010, un retraité sur trois touche encore moins de 3000 francs par mois, et un sur dix a besoin des prestations complémentaires pour boucler ses fins de mois.

Ne nous y trompons pas: cette manière de monter – par petites touches – les générations les unes contre les autres sert d’abord de point d’appui pour affaiblir nos assurances sociales. Au parlement fédéral, les attaques de la droite contre la prévoyance vieillesse sont récurrentes, qu’il s’agisse de limiter l’indexation des rentes AVS ou de baisser les prestations du 2e pilier. En mars dernier, il a fallu un vote populaire pour faire barrage à la baisse de 10% des rentes LPP voulue par la majorité des Chambres fédérales.

Les retraités méritent pourtant mieux. Toujours plus longtemps en bonne santé, ils contribuent largement au bien-être de notre société. Bénévolat, garde de petits-enfants, etc. sont des activités non marchandes, mais souvent irremplaçables. Plutôt que de jalouser des seniors présumés trop riches et trop chers, commençons par reconnaître et encourager leur apport à la société. Cette solidarité-là n’a peut-être pas de prix, mais elle vaut son pesant d’or.