Postulat – A 30 km/heure à toute vitesse !

Anne Françoise Decollogny, conseillère communale. Postulat déposé le 8 mai 2018

Préambule

Depuis le 31 mars 2018, le délai pour l’assainissement du bruit routier est échu. Ainsi les propriétaires immobiliers ont-ils la possibilité, dès le 1er avril, de déposer des demandes en dommages et intérêts pour les biens immobiliers leur appartenant et dont ils peuvent faire la preuve qu’ils ont perdu de leur valeur à cause de niveaux sonores excessifs.

L’Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit (OPB) du 15 décembre 1986, fixait un premier délai au 31 mars 1997 pour assainir le bruit. Ce délai a été prolongé une première fois au 31 mars 2002, puis une troisième fois au 31 mars 2015 pour les routes nationales et au 31 mars 2018 pour les routes cantonales et autres routes. La Confédération, les cantons et les communes ont ainsi eu trente ans pour assainir le bruit routier.

Les subsides fédéraux versés pour les assainissements, quant à eux, et qui ont été accordés dans le cadre de « conventions-programme » entre la Confédération et les cantons, pourront être versés jusqu’au 31 décembre 2020. Et ceci pour autant que les cantons ayant conclu une convention-programme l’aient d’ores et déjà mise en œuvre.

Même si un flou juridique entoure encore les conditions d’octroi de ces dommages et intérêts (ou indemnités), même si les procédures risquent d’être longues et compliquées, il n’en reste pas moins que les propriétaires des routes, les communes en particulier, pourraient se retrouver prises à partie dans de nombreuses procédures juridiques, dont on sait les coûts exorbitants qu’elles peuvent représenter.

On rappellera la réponse de la Municipalité à l’interpellation de Valéry Beaud et consorts « Quelles indemnisations pour les victimes de nuisances sonores ? » du 27 mars 2014, laquelle se dit dans l’impossibilité de chiffrer le montant des indemnités qui pourraient être dues.

On rappellera également la réponse du Conseil d’Etat à l’interpellation de François Brélaz « Cela pourrait être un poisson d’avril, mais cela n’en est pas un ! » (27 mars 2014). Le Conseil d’Etat se garde bien de donner un chiffre. C’est l’interpellateur, citant le vice-directeur de l’OFEV, qui mentionne des coûts pour le rail et la route qui pourraient dépasser les 19 milliards de francs pour l’ensemble de la Suisse.

La Ligue suisse de lutte contre le bruit (Lärmliga) a d’ores et déjà lancé une action visant à constituer un pool de plaintes (Klagepool) ayant pour but de lancer des actions en dommages et intérêts, et au final, d’obtenir une jurisprudence du Tribunal fédéral. Il y a fort à parier que des propriétaires romands, et pourquoi pas lausannois, se joindront à l’initiative de la Ligue en question. Un récent reportage au téléjournal de Suisse alémanique en témoignait. Et la Ligue cherche activement des propriétaires romands prêts à se joindre au mouvement de plaintes.

Parmi les mesures permettant de diminuer le bruit routier, la plus efficace est une réduction de la vitesse de circulation. En ce sens, deux nouveaux arrêts du Tribunal fédéral viennent d’être publiés[1] et la NZZ du 11 avril 2018 s’en faisait l’écho en indiquant que le TF confirmait le bien-fondé de la réduction de la vitesse à Zürich et à Bâle pour protéger les habitants du bruit. Le TF a rejeté dans leur totalité les recours des deux associations (ACS et TCS) et démonté leurs arguments. Ces deux arrêts ont été précédés de nombreux autres arrêts allant tous dans le même sens : pour réduire le bruit routier, il faut agir à la source en premier, soit réduire la vitesse avant toute autre mesure, et avant d’accorder des allègements. Et il est possible de réduire la vitesse également sur des axes principaux lorsque les valeurs-limites de bruit sont dépassées.

Qu’en est-il à Lausanne ?

Pour diminuer le bruit du trafic routier, la Ville de Lausanne a mis sur pied un test de réduction de la vitesse à 30 km/heure la nuit, de 22h00 à 06h00, qui a commencé le 1er juin 2017 et qui se terminera en été 2019. Il est conduit sur les avenues de Beaulieu et Vinet, deux axes principaux où les normes de bruit dépassent largement les valeurs-limite d’immission. Selon le Cadastre du bruit routier, l’avenue de Beaulieu se situe de jour au-delà de 75 décibels (soit au-delà des valeurs d’alarme) et l’avenue Vinet se situe à 70 décibels, soit dans les valeurs d’alarme. Rappelons que les valeurs-limites d’immission (celles qui ne doivent pas être dépassées) se situent à 65 décibels la journée et à 55 décibels la nuit. Dès lors qu’elles sont dépassées, il y a obligation d’assainir. Précisons que trois décibels de plus correspondent à un doublement de l’intensité sonore. A contrario, à une diminution de trois décibels correspond la perception d’une diminution de moitié du trafic pour l’ouïe humaine.

Ce test s’appuie sur l’arrêt du Tribunal fédéral concernant Zoug[2] et qui stipule que lors de niveaux de bruit dépassés, c’est sur le bruit à la source qu’il faut agir, par une réduction de la vitesse. En l’occurrence sur le bruit des moteurs puisque c’est la principale source de bruit dans les villes. L’arrêt prévoit également qu’en cas de doute quant à l’efficacité d’une telle mesure, il faut la tester, en particulier la nuit, puisque c’est durant la nuit que le bruit de la route est le plus dommageable pour le sommeil et la santé des riverains. L’arrêt met également en évidence que ce sont les pics de bruit qui sont le plus dérangeants.

Ce test répond également à une demande de la population du quartier, formulée sous forme de pétition en 2007 déjà, et ensuite par différentes actions, dont en particulier une opposition aux Axes forts de transports publics, vu les reports de trafic annoncés sur l’avenue de Beaulieu (+20%) et sur Vinet (+13%), découlant de la fermeture de l’axe Chauderon/St-François. On mentionnera également le postulat de la soussignée et crst « Qualité de vie – pour un 30 km/h au centre-ville », déposé le 6 décembre 2011.

Le test mené à Lausanne a déjà livré des résultats. Mené rigoureusement, avec des mesures du nombre de véhicules, de vitesse et de bruit, le test indique les résultats suivants :

  • Sur l’avenue de Beaulieu, le bruit a diminué de 3.1 décibels.
  • Sur l’avenue Vinet, il a diminué de 2.5 décibels.
  • Les pics de bruit ont diminué de 84 %. Sur Beaulieu, la différence est de -4.2 décibels. Sur Vinet, elle est de 5 décibels.
  • Quant à l’avis des riverains, ils étaient 80% à être plutôt favorables à très favorables à la diminution de la vitesse et 50 – 58% d’entre eux ont perçu une atténuation du bruit. On peut mentionner à cet égard que certains riverains, ceux qui habitent sur un carrefour ou proches du début d’une des deux rues, ne bénéficient pas de la mesure de réduction du bruit puisqu’ils continuent de subir arrêts et redémarrages des véhicules.
  • Quant aux usagers motorisés de ces deux rues, ils étaient 60% à juger que la mesure était plutôt facile à très facile à respecter.
  • Les charges de trafic n’ont pas diminué, ce qui signifie qu’il n’y a pas eu de report de trafic sur d’autres axes.

On peut donc constater que le test donne des résultats très positifs. Faut-il, dès lors, attendre encore pour étendre la limitation de la vitesse à toutes les rues où des habitants souffrent du bruit ? Car selon l’OFEV[3], 40% de Lausannois et Lausannoises sont dérangés pendant la nuit par des niveaux de bruit supérieurs à 55 décibels.

La réduction de la vitesse s’impose comme le moyen le plus simple, le moins cher et n’entraînant pas d’effets indésirables pour les conducteurs. Elle est donc une mesure « proportionnée » au sens de l’OPB. Elle permettra également de limiter, voire d’éviter des demandes en dommages et intérêts que pourraient déposer des propriétaires de biens immobiliers situés sur des axes nécessitant un assainissement.

Ainsi, par ce postulat, nous demandons à la Municipalité :

  1. D’étudier la possibilité d’étendre la limitation à 30 km/heure de nuit sur toutes les rues où les normes de bruit sont dépassées, au sens de l’OPB.
  2. D’étudier la possibilité d’étendre la mesure à la journée, puisque la protection contre le bruit ne s’arrête pas à la nuit.
  3. En fonction du nombre de rues à assainir, d’étudier la possibilité de limiter la vitesse à 30 km/heure sur tout le centre-ville, pour des raisons de cohérence du système de mobilité.

Co-signés par: Anne-Françoise Decollogny/ Romain Felli/ Valéry Beaud (Les Verts)/ Daniel Dubas (Les Verts)/ Johann Dupuis (Ensemble à gauche)

[1] 1C_117/2017 et 1C_118/2017 concernant Zürich et 1C_11/2017 concernant Bâle

[2] ATF 1C_589/2014 du 3 février 2016

[3] Source : OFS, SonBase, 2016, citée dans le document de présentation de la Ville (février 2017)

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